dimanche 4 septembre 2011

A Brest, le deuil et Budapest

Deux garçons sortent d'un cimetière brestois. Heureusement que leur grand-mère a souscrit un contrat de prévoyance "béton" incluant le rapatriement du corps, la toilette funéraire et la mise en bière, sans compter l'inhumation dans un monument tout en sobriété qu'elle a choisi récemment pour sa concession en pleine terre, concession qui a le double avantage d'être un - perpétuelle et deux - à côté de la tombe de Jacky son Jacky auprès duquel elle allait désormais pouvoir trouver le repos éternel, caressée seulement par la fraîcheur du crachin et le nom si doux de son cimetière, Recouvrance. Une profonde grisaille s'abat sur la ville. Heureusement que leur grand-mère a tout anticipé, oui, car sinon les deux frangins n'auraient sans doute que difficilement trouvé la force de se remettre à cette besogne qui depuis l'assassinat de Loïc, marque leur quotidien, de la pause cigarette au whisky avec les copains. La mort violente qui ne vous lâche pas. La mort douce qui vous rappelle la violente. Un cercle vicieux pour Yohann, l'aîné, sans doute le plus marqué. C'est lui qui, dans un élan louable pour penser à autre chose, propose alors à son frère d'aller boire un coup au Tilbury, situé à l'angle d'Anatole France et de Rabelais, non loin du cimetière donc et qui avait entre autres la particularité d'être repérable grâce au signe "Amstel" solidement fixé au dessus de l'entrée. La première bière passe sans un échange de mot. Ce n'est qu'à la première gorgée de scotch que Renan demande "et toi, tu vas faire quoi, maintenant?" comme si la disparition de leur grand-mère devait définitivement diviser la fratrie amenée à se séparer en "toi" et "moi", puis en "lui" et "moi". Renan finit par dire à son frère qu'il a trouvé un bon job, celui de civil work superintendent pour la reconstruction et l'aménagement du nouveau complexe de Bab-al-Azizya, sur les ruines de l'ancien QG de Kadhafi. Il attend le feu vert, imminent, de sa boite d'assistance technique qui d'ors et déjà se mobilise tout entière pour son visa. Il lui paraît indécent d'évoquer son daily rate et il a sans doute bien raison de ne pas le faire. Son frère a de toute façon, lui, un tout autre objectif : depuis le jour de la mort de Loïc en Catalogne, il s'est juré de traquer par tous les moyens celui qui a fait ça. Dans ses souvenirs le couteau occulte parfois la vision d'un tatouage (un maori?) et ce tout petit indice devait lui donner le courage nécessaire de continuer. Interpol, les media espagnols et français, tous se sont mis en branle pour rechercher au delà des frontières ce fugitif mystérieux qui a de sang froid poignardé un honnête touriste français. L'information, les sources, le renseignement, le recoupement : des mots qui remplaçent désormais dans son vocabulaire intime tous les termes de génie civil ou de structure durement appris en alternance de son BTS.Yohann n'est pas nu. Il tient d'un ancien compagnon de piaule à l'armée et qui bosse maintenant sur "l'affaire Loïc Kervadec" pour la gendarmerie, l'information que des écoutes de certains proches du monstre (on parle d'un mannequin à Milan, d'une pute en Slovénie, ce qui prouve bien le côté crapuleux du criminel) ont révélé qu'il se trouve sans doute planqué quelque part à Budapest. La ville revenait en effet souvent dans les conversations, c'est donc probablement un refuge pour celui que les polices n'hésitent plus à surnommer "le boucher Hongrois". C'est pourquoi son annonce, au deuxième scotch posé sur le comptoir, les seuls et uniques mots qu'il adressa à son frère ce jour-là,  parut non seulement fluide mais si implacablement naturelle que Renan n'osa pas, après coup, le questionner davantage :

-Je pars pour Budapest, ce soir.

Restait à faire la valise.

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 http://www.brest.fr/accueil.html

    
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