vendredi 9 septembre 2011

A Lorient, bruits d'avion et hallucinations

C'est aux portes d'un square de quartier, gris et vert, que le taxi lorientais arrête Paco et son bout de papier. Traversant les herbes folles sous les saules qui ne pleurent pas encore, il finit par rejoindre non sans mal le point d'eau qui est aussi le repère du sorcier. C'est là qu'il a une drôle de vision : il se revoit enfant chevauchant le formidable dragon de la fête foraine. Sa mère est là. Elle tient quelque chose de la main gauche et de l'autre, lui fait de grands signes, visiblement heureuse. Le manège tourne, il crie de joie. Soudain, un avion fend lourdement le ciel, il n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Le bruit de sa course interrompt violemment sa rêverie.

-C'est un long-courrier qui vient de Brest. Maintenant il font des charters pour l'Europe de l'est, les Bretons adorent : on y boit beaucoup et pas cher, les filles sont mignonnes et l'histoire est riche. Budapest, vous connaissez?
-Budapest, oui on peut dire ça. Qui êtes vous?
-Maître Boda, celui que vous cherchez ici, j'imagine. Vous?
-Paco

L'échange est bref, Paco parle très peu mais le sorcier -qui inspirerait une confiance immédiate au plus sceptique des cartésiens- semble pouvoir tout deviner. Lui qui a l'air d'un Bob Marley blanc, dread infinis tongues et costume rasta européanisé par un pantalon souple et classe qui pourrait très bien être celui d'un navigateur multicoque, est en réalité un vrai professionnel qui, adossé à un chêne des marais, toujours le même, s'appuie sans cesse sur la nature pour exercer : "c'est la clé de notre métier!", commente t-il un rien badin avant d'installer son client en face de lui pour le grand rituel. Il maîtrise à merveille le tarot divinatoire, entre autres techniques : il sort un bateleur et un pendu pour Paco, mais doit ensuite s'arrêter car lui-même en proie à une forte hallucination à laquelle, malgré toutes les vicissitudes de son métier, il n'est pas habitué. Il ne lit plus si facilement. Le chamane n'a jamais connu ça, du moins à ce niveau d'intensité. Il prend une inspiration lente puis caresse la peau de son tambour. Son iphone vibre mais il ne l'entend pas. Sortant de sa transe, une seule image imprime sa rétine. Une image qui s'efface progressivement de son esprit et qu'il doit retransmettre aussitôt à Paco, yeux écarquillés, plus fou que toutes les herbes qui l'entourent, visiblement drogué par les effluves de l'encens planté tout autour du chêne : "la Valise est la source, tu dois chercher la Valise".
 

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