vendredi 16 septembre 2011

A Belgrade, Yohann est en Mitteleuropa

Budapest est vide d'indices pour Yohann. La Hongrie est le pays plus triste d'Europe selon les sondeurs. Ici, on se dit volontiers mélancolique. Mais il en faut plus pour qu'il se sente hongrois : il est déterminé, veut prendre la route du sud, du nord, de l'ouest, n'importe quelle route pourvu qu'elle lui offre un espoir de mettre la main sur l'assassin de son frère. Il possède un portrait-robot qu'il a lui-même dessiné, l'esquisse d'une main tatouée et quelques coupures de journaux, à sensation le plus souvent, et quelques unes dont la fameuse du "boucher" d'el Pais, qui a lancé les hostilités et la traque pan-européenne, avant de progressivement s’essouffler.

Son aventure hongroise ne dure pas très longtemps. Il est vite à Belgrade après avoir suivi une jolie Serbe de Novi Sad qui écouta son histoire dans un bar non loin du Danube, en buvant chacun de ses mots comme une série de shots, de plus en plus douloureux mais de plus en plus humains. Cette nuit-là et les quelques jours qui suivirent, elle lui donna ce qu'il cherchait le plus au monde, une étreinte et du réconfort, et cette douceur adolescente qui lui permit de reprendre entièrement à son compte, plein d'optimisme et de fraîcheur retrouvés, l'impitoyable machine du destin.

Il errait désormais dans les rues de Belgrade, arpentant le bitume neuf posé par les chenilles Carterpillar, effleurant les étalages de marché où il dérobait quelques fruits, des cerises et des pommes yougoslaves le plus souvent, s'aspergeant ensuite de l'eau des fontaines, à l'aube, sans aucun but bien précis si ce n'est d'interroger les personnages les plus louches en leur montrant le portrait-robot d'un disparu bien particulier. Il était persuadé que le tueur de Loic était issu de la pègre et que de la pègre il remonterait ensuite à lui. L'ex-Yougoslavie, par chance, ne manquait pas de malfrats en tous genres.

C'est en sortant de l'ascenseur du Stefan Braun, un club prisé de la capitale situé dans un immeuble de bureaux, qu'il tomba, passablement éméché, sur un bande de Kosovars dont il se dit qu'ils étaient forcément au courant. L'alcool lui donna le courage suffisant pour les aborder. Le plus vieux d'entre eux le marqua d'emblée par son physique de talonneur et il sembla y déceler comme un air de famille avec sa cible. Le cou du taureau? Les deux autres, plus grands et plus maigres, on les surnommeraient même flacos en Argentine, étaient tatouées et tous s'exprimaient dans une langue qu'il n'avait jamais entendu jusque-là. Après avoir attentivement regardé le portrait qu'il leur tendit, à la lumière d'un smartphone perçant l'obscurité du renfoncement dans lequel ils se trouvaient au rez-de-chaussée, le mot fut lancé : "Niet". Yohann ne parut pas comprendre, c'était pourtant clair.

Pour eux c'était déjà la deuxième fois qu'un étranger leur demandait service cette semaine ; la première fois c'était un Arabe fortuné qui parcourait les capitales de la Mitteleuropa plus vite qu'un japonais, à la recherche d'une valise griffée. L'Arabe les avaient rincé en dollars, pour la plus grande joie de leur boss. Là il ne s'agissait pas d'une valise mais d'un homme, peut-être même un Kosovar comme eux, et à vrai dire il n'avait aucune envie de se creuser les méninges. Le type, saoul, était probablement fauché et ne valait pas la peine qu'ils s'y intéressent du tout. Mais l'insistance du Breton, farouche et quelque peu déstabilisante pour des caïds de Belgrade comme eux, les força à donner une réponse plus acceptable. Pour Yohann, pas question de se dégonfler, les tergiversations des trois Kosovars étaient le signe d'une piste naissante. C'est alors que le plus jeune des Kosovars suggéra dans une langue plein d'argot, de mettre ce "chien" sur la piste de l'Arabe.

C'est ainsi que l'aîné des Kervadec partit en direction du Monténégro avec une photo qui ressemblait en de nombreux points à celle de Saif al-Islam, alors en pleine orgie pour sa fête d'anniversaire, la seule qu'ils avaient en main et qu'ils avaient déchirée, peut-être bien, d'un tabloid allemand. "This man you must find" furent les mots du vieux caïd.

Yohann se retourna sans attendre, mais il s'arrêta quelques mètres plus loin pour finalement les remercier d'un signe de tête tout aussi ostentatoire que naïf,  alors que ceux-ci juraient déjà dans leurs bombers: "fils de chien, il nous a fait perdre la trace de Slobo, le patron va nous tuer!".

Il contempla ensuite la rue silencieuse et sombre, éclairée seulement par les premiers rayons de l'aube, avant de descendre les marches d'un pas engagé, animé par une certaine fureur de vivre.

En chemin, il entendit le premier rideau métallique se lever.

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