mardi 25 octobre 2011

Dans un monde élastique, les parenthèses se referment aussi

Myrina est allongée sur son lit, répétant quelques exercices de yoga appris à travers la fenêtre du café. Les lattes grincent et elle peine à se détendre en pensant à cet inconnu.

Yohann est accroupi, un genou touche le carrelage bouillant de la douche. Ses larmes chutent au milieu d'un flot bruyant qui s'écoule ensuite, silencieusement, dans les profondeurs souterraines de la ville. Au bout du voyage, il y a une rivière étrange et puis, de nouveau, la vie. Les nuages de fumées, eux, remontent par petits paquets.

Saïf regarde la roue du scooter tourner dans le vide. Il n'a reçu aucun SMS depuis plusieurs jours. Il sait que la fin est proche. Alors il termine son verre.

Renan est seul parmi les ouvriers. Ils viennent du monde entier. Après Kaboul, Bagdad et Tripoli, où se déroulera la prochaine reconstruction qui leur permettra de gagner leur croûte? Spéculer sur la guerre c'est spéculer sur la vie. Renan se nourrit de l’obsession de pouvoir parler à son frère cette après-midi.  Il ajuste le compas sur le plan de coupe : que devient-il dans sa quête ?

Paco a ouvert la valise. Medusé, il ne peut la quitter des yeux. Etendu sur la moquette d'un ancien open-space il préfère laisser ses coudes souffrir plutôt que devoir s'écarter, ne serait-ce qu'un instant, d'Elle. Dehors, une armée de papillon danse autour d'un serpent à plume. C'est le Mexique. On vole, on danse. Et on sonne à l'interphone.

mercredi 12 octobre 2011

A New York, Paco vole à son propre secours

Alors c'est ça New York ? Où sont les vrais camions de pompiers avec leurs échelles capables de grimper par-dessus les grattes-ciels, les clochards célestes qui racontent leurs nuits blanches dans les wagons, les nuits roses où ils se sont fait entretenir, les nuits lumineuses où ils ont pensé aux premiers jours de leur vie, où sont les majorettes dans leurs combinaisons de latex bleues pailletées à la wonderwoman agitant les drapeaux étoilés avec de drôles de boules de cotons le tout dans une chorégraphie qu'on dirait calquée sur une comédie musicale jouée par des esclaves, il y a longtemps, peut-être au siècle dernier ou au siècle d'avant je ne sais plus, et les fontaines à soda j'ai soif, j'ai terriblement soif, se dit Paco qui depuis l'immigration tournait en rond....

Paco venait d'atterir à Newark, New-Jersey et il avait déjà le sentiment d'urgence de vouloir dévorer cette Amérique fantasmée, image qui devait tenir de son enfance : mais c'est quand, au juste, l'enfance ?

Peu à peu, ses souvenirs semblaient refaire surface alors qu'il regardait les valises tourner sur le tapis à bagages. Sorties de nulle part, elles basculaient ensuite dans la piste ovale qui automatiquement devait les conduire à leurs propriétaires. Lui qui n'avait pas de valise en soute (pour quoi faire ?) pouvait se sentir presque orphelin en voyant le sourire des parents récupérer leurs enfants en qui ils avaient placé le meilleur d'eux-même.

Paco eût une pensée pour sa mère qu'il venait récemment de revoir au cours d'une apparition furtive, c'était à Lorient à l'orée du bois, les quatre jeudis. Il se dit alors que le mieux pour commencer une nouvelle vie, c'était peut-être d'adopter une valise, valise qui serait la première pierre à son édifice familial décrépis, branlant, fait de bribes que les pires acides peinaient désormais à réactiver. Après tout qu'avait dit le Chaman ?

Son esprit n'y voyait plus clair mais le fait de sentir son destin remuant avec une telle intensité au bout de ses doigts -il savait qu'il ne pourrait plus le retenir très longtemps - lui procura bizarrement un bref instant de toute-puissance qui le tint quelques secondes en lévitation au dessus-des chariots grinçants.  Finalement il se dit "je dois le faire". Choix irréversible. Toujours suspendu comme dans un rêve, mais déjà dans un état de concentration suprême, incandescent, lui qui n'était pas un voleur ressentit pourtant le besoin de s'approprier là tout de suite et sur-le-champs un objet qui n'était pas le sien et qui renfermait d'autres objets qui ne lui appartenaient pas non plus. Mais la morale ne pouvait faire le poids face à cette flamme qui incendiait son être de l'intérieur : de quel vol, de quel délit s'agirait-il puisque cette valise  - qu'il choisirait - deviendrait finalement la sienne, par nécessité, par nécessité impérieuse d'un destin qui à lui plus qu'à un autre donnait toujours l'impression que tout dans la vie - et même dans la mort - est programmé.

L'automate possédé se baissa pour ramasser une valise aux coins en laitons si belle sous tous les angles qu'elle rayonna sous ses yeux injectés d'une profonde fureur; derrière lui une brune hystérique criait à tue-tête au pauvre garçon qui poussait son caddie surchargé : "Plus vite, plus vite, je vais rater mon taxi!". Les deux passèrent en courant sous la banderole I LOVE NY. Au moment de passer la douane, le sang de Paco était tout sauf froid.

lundi 10 octobre 2011

A Ljubljana, ce qui surgit de la jungle des souvenirs

Dorinda nage comme un dauphin rose sous les ponts de Plecnik
avec elle même les pierres s'assouplissent - elle est la grande prêtresse !
Myrina tient son café entre les mains puis pile le sucre dans un silence d'or
quelle horreur de penser à son fils jeté à l'aventure !

L'Amazone est un concept, une égérie, un fleuve qui charrie autant de joie que de chagrin
                                                                                                                                           mais quelle joie ?
Courir les perspectives, soulever le rideau des morts et revenir, pour constater qu'après tout :
une arme automatique n'en est pas moins
                                                                            manuelle

Elle observe la performeuse yogi depuis la petite fenêtre,
gestes lents à la lumière du matin
exhortant en douceur sa chapelle
                                                          heureuse

Elle le sait : elle a fait fuir son fils lorsqu'elle lui donna la vie
tout effort pour nettoyer les abîmes
tout effort de ce genre est impossible
                                                                     vain
c'est pourquoi elle aurait tant voulu
lui remettre cette valise
comme l'explication du Monde
rendez-vous compte
l'Amour la Haine et la Connaissance dans une boîte sacrée!

Mais ce n'est pas fini - jamais- et d'autres cherchent un espoir
il le faut bien
il le faut
                 bien
à ce prix seulement
est-il possible de composer sa mélodie
dans ce théâtre de marionnettes
instables
                 explosives
                                   folles de liberté
au point de rompre les attaches
et parfois : toutes les attaches!

Myrina contemple
                                       éternelle
ce bout de ficelle
flottant dans l'air lourd
du café
si vif
on dirait un
                          élastique
soudain
il retombe sur les épaules d'un voyageur
question-piège :
que vient faire cet homme seul à l'accent français
dans ce décor slovène
mimant l'espion
cachant sa peine
à la réception?

Il murmure
Chambre quelque chose
un air d'abandon sort
de ses lèvres fatiguées
elle ignore encore
son nom quand il
actionne la clé
posant sa main usée
sur la poignée
polie.

Sur le registre de l'hôtel
le livre grand ouvert
indique
sous un trait fermement
hésitant :
"Kervadec".

Plus :
http://www.plecnik.net/


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vendredi 7 octobre 2011

A Budva, Saïf n'est pas si naïf

Saïf faillit avoir une embolie pulmonaire la dernière fois qu'on frappa à la porte de sa chambre, alors qu'il se laissait séduire par la promesse de la jouissance en un click proposée dans une interface plus que tactile par le site révolutionnaire usex.com.  Pour une fois que le mot-clé n'était pas "valise". Cette foutue valise. Elle hante son esprit, se cache dans l'entrejambe rasé de cette adolescente (qui va bientôt disparaître de son écran), mais aussi dans le marronnier de Grèce quand il regarde au-delà de la terrasse, à travers les glaçons fondus de son scotch, et qu'il voit les chenilles devenir papillon, les condamnés des pendus, les insectes s'envoler, un coucher de soleil sur l'échafaud, une exécution écologique, au milieu du désert, sans émission de carbone, puis les fosses communes, le retour à la terre sans sacrement, et bientôt il y aura des panneaux solaires pour alimenter la potence et les coups de pelle c'est une bonne idée et il devrait le dire à papa pense t-il sous les danses ivres le rire des fêtards le souffle frénétique dans les trompettes et la sueur sur le front des musiciens patriotes investis qui le transporte insidieusement au coeur d'un manuel de géographie, en plein réel, cette sueur qui délimite les frontières serbes croates monténégrines ou kosovares mieux encore que tous les rivages de l'Adriatique et les chaînes de montagne décidément aussi peu fiable que les prévisions des sismologues et boursicoteurs occidentaux. Son pays est si loin, sa névrose si proche.

L'autre soir, quand cet allumé de Breton (c'est quoi c'est où la Bretagne ?) est venu le voir dans sa chambre qui était celle dans laquelle il aurait du goûter encore une fois la peau salée de Maricris sous un air de vieux rock and roll sur un lit de dollars elle nue avec des escarpins rouges la valise au pied du vaisseau devant les emmener tout droit au septième ciel, il se sentit très seul.

Quand ce taré lui décrit la personne qu'il recherchait, coupures de journaux à l'appui, photos, portraits-robots, obsessions d'un justicier en mission, prêt-à-tout, jusqu'à lui montrer l'empreinte d'un index sur un paquet de chips, et qu'il rêvait de mutiler comme le font d'eux-mêmes les yakusas en faute, et plus si affinités ; quand ce taré en vint à bout de souffle conclure qu'il lui devait de l'orienter sur la bonne piste enfin puisqu'il avait des infos cela lui avait été confirmé à Belgrade de source sûre (de source quoi?), Saif vit un éclair fulgurant traverser son esprit.

Il eût l'impression d'avoir le cerveau coupée en tranche et ce fût bien vrai quand il reconnut le visage de Myrina l'amazone qui avait tout fait pour lui voler la valise, de Misrata à Tripoli. Acide fut l'accès de surexcitation cérébrale. "Je vous ressert, M. Al-Islam?". Ce fugitif devait être le fils de Myrina, donc son demi-frère. Le viol en série a lui aussi ses défauts de fabrication.

L'alliance qui suivit si naturelle soit-elle ne se régla pas à coup de paraphes et de stylo-plumes : retrouver "le boucher" c'était retrouver la valise et donc l'appétit de vivre. Une faim qui justifie les moyens : une poignée de main et une virée au bordel dans laquelle Yohann vit une obligation professionnelle et Saïf une rédemption. Ils masturbèrent ensemble la bouteille de vodka et parvinrent enfin à un accord alors que d'étranges cygnes tournoyaient sur leur table VIP. Yohann travaillerait pour Saïf, qui le financerait dans le but exclusif de mettre la main ce sur parent devenu la pire des nuisances pour son régime.

Plus:
http://www.youtube.com/watch?v=rk3T2NP9Y5o

mercredi 5 octobre 2011

A Paris, en compagnie des dealers de Château-Rouge

A Château Rouge comme ailleurs, on crève de coïncidences, et souvent dans le silence.  Paco est en bas du taxiphone. Le marché noir profite de la nuit. En stock des coques d'iphone achetées dans une banlieue à des chinois impavides. Cette pute en veut une rose pour mieux tapiner car dit-elle "ça ira mieux avec mon manteau". Ce médecin de Lariboisière en achète une pour sa maîtresse, sa croix-rouge d'infirmière, sa croix-verte des soirs d'ivresse et de longues gardes. Le dealer en veut une jaune canari ostensiblement assortie à ses baskets dernier cri. Il demande s'il peut avoir sa photo dessus aussi - ça jette à max! - et Paco lui répond qu'il faut commander qu'il y-a- un-peu-de-délai-mais-faut-juste-verser-la-résa, et il s'en chargera. Paco, sa photo, elle n'est imprimée sur aucune coque de portable mais elle est placardée dans tous les commissariats de France. Elle le montre en sombre videur milanais, irréprochablement élégant, visage formolé dans le masque d'une brute, inquiétant, comme celui qui a l'habitude de porter des cercueils tous les week-end  : bonne nouvelle, il doit encore fuir. Rendez-vous prévu à minuit quinze, pluie fine, éclaboussures sur les billets, maigres affaires, il attend là le Nigérian. Friday, c'est le nom de son contact, a pour lui un passeport "US", garantie 100% "genuine" (authentique).  A l'heure où les migrations humaines - qu'elles soient courtes, définitives ou illusoires- n'ont jamais été aussi nombreuses, le business du faux-passeport est encore plus florissant que l'extraction du brut, la fracturation du schiste, le creusement des couches de phosphates, réunis. Retour sur investissement : 430%. Un labo à Port-Harcourt, deux proches à l'ambassades des Etats-Unis à Lagos, trois sociétés à Houston pour les invitations, un-deux-trois et le tour est joué. Tombent les feuilles d'automnes, traversant en zigzag, lentement, le halo des lampadaires trempés par le crachin. La poche intérieure lourde du cash, Paco pense encore que la poésie peut changer le monde, le sien au moins. Il ferme les yeux un instant et quand il les ré-ouvre c'est pour voir un kolkhoze abandonné, la porte rouillée, un chient errant qui pisse, et un petit montagnard nerveux qui le bouscule : ça y est, un homme de Friday est venu le chercher.

Plus:
http://www.dailymotion.com/video/xj6ivx_l-chateau-rouge-ce-soir-ou-jamais-france-3_music


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