mercredi 12 octobre 2011

A New York, Paco vole à son propre secours

Alors c'est ça New York ? Où sont les vrais camions de pompiers avec leurs échelles capables de grimper par-dessus les grattes-ciels, les clochards célestes qui racontent leurs nuits blanches dans les wagons, les nuits roses où ils se sont fait entretenir, les nuits lumineuses où ils ont pensé aux premiers jours de leur vie, où sont les majorettes dans leurs combinaisons de latex bleues pailletées à la wonderwoman agitant les drapeaux étoilés avec de drôles de boules de cotons le tout dans une chorégraphie qu'on dirait calquée sur une comédie musicale jouée par des esclaves, il y a longtemps, peut-être au siècle dernier ou au siècle d'avant je ne sais plus, et les fontaines à soda j'ai soif, j'ai terriblement soif, se dit Paco qui depuis l'immigration tournait en rond....

Paco venait d'atterir à Newark, New-Jersey et il avait déjà le sentiment d'urgence de vouloir dévorer cette Amérique fantasmée, image qui devait tenir de son enfance : mais c'est quand, au juste, l'enfance ?

Peu à peu, ses souvenirs semblaient refaire surface alors qu'il regardait les valises tourner sur le tapis à bagages. Sorties de nulle part, elles basculaient ensuite dans la piste ovale qui automatiquement devait les conduire à leurs propriétaires. Lui qui n'avait pas de valise en soute (pour quoi faire ?) pouvait se sentir presque orphelin en voyant le sourire des parents récupérer leurs enfants en qui ils avaient placé le meilleur d'eux-même.

Paco eût une pensée pour sa mère qu'il venait récemment de revoir au cours d'une apparition furtive, c'était à Lorient à l'orée du bois, les quatre jeudis. Il se dit alors que le mieux pour commencer une nouvelle vie, c'était peut-être d'adopter une valise, valise qui serait la première pierre à son édifice familial décrépis, branlant, fait de bribes que les pires acides peinaient désormais à réactiver. Après tout qu'avait dit le Chaman ?

Son esprit n'y voyait plus clair mais le fait de sentir son destin remuant avec une telle intensité au bout de ses doigts -il savait qu'il ne pourrait plus le retenir très longtemps - lui procura bizarrement un bref instant de toute-puissance qui le tint quelques secondes en lévitation au dessus-des chariots grinçants.  Finalement il se dit "je dois le faire". Choix irréversible. Toujours suspendu comme dans un rêve, mais déjà dans un état de concentration suprême, incandescent, lui qui n'était pas un voleur ressentit pourtant le besoin de s'approprier là tout de suite et sur-le-champs un objet qui n'était pas le sien et qui renfermait d'autres objets qui ne lui appartenaient pas non plus. Mais la morale ne pouvait faire le poids face à cette flamme qui incendiait son être de l'intérieur : de quel vol, de quel délit s'agirait-il puisque cette valise  - qu'il choisirait - deviendrait finalement la sienne, par nécessité, par nécessité impérieuse d'un destin qui à lui plus qu'à un autre donnait toujours l'impression que tout dans la vie - et même dans la mort - est programmé.

L'automate possédé se baissa pour ramasser une valise aux coins en laitons si belle sous tous les angles qu'elle rayonna sous ses yeux injectés d'une profonde fureur; derrière lui une brune hystérique criait à tue-tête au pauvre garçon qui poussait son caddie surchargé : "Plus vite, plus vite, je vais rater mon taxi!". Les deux passèrent en courant sous la banderole I LOVE NY. Au moment de passer la douane, le sang de Paco était tout sauf froid.

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