mercredi 5 octobre 2011

A Paris, en compagnie des dealers de Château-Rouge

A Château Rouge comme ailleurs, on crève de coïncidences, et souvent dans le silence.  Paco est en bas du taxiphone. Le marché noir profite de la nuit. En stock des coques d'iphone achetées dans une banlieue à des chinois impavides. Cette pute en veut une rose pour mieux tapiner car dit-elle "ça ira mieux avec mon manteau". Ce médecin de Lariboisière en achète une pour sa maîtresse, sa croix-rouge d'infirmière, sa croix-verte des soirs d'ivresse et de longues gardes. Le dealer en veut une jaune canari ostensiblement assortie à ses baskets dernier cri. Il demande s'il peut avoir sa photo dessus aussi - ça jette à max! - et Paco lui répond qu'il faut commander qu'il y-a- un-peu-de-délai-mais-faut-juste-verser-la-résa, et il s'en chargera. Paco, sa photo, elle n'est imprimée sur aucune coque de portable mais elle est placardée dans tous les commissariats de France. Elle le montre en sombre videur milanais, irréprochablement élégant, visage formolé dans le masque d'une brute, inquiétant, comme celui qui a l'habitude de porter des cercueils tous les week-end  : bonne nouvelle, il doit encore fuir. Rendez-vous prévu à minuit quinze, pluie fine, éclaboussures sur les billets, maigres affaires, il attend là le Nigérian. Friday, c'est le nom de son contact, a pour lui un passeport "US", garantie 100% "genuine" (authentique).  A l'heure où les migrations humaines - qu'elles soient courtes, définitives ou illusoires- n'ont jamais été aussi nombreuses, le business du faux-passeport est encore plus florissant que l'extraction du brut, la fracturation du schiste, le creusement des couches de phosphates, réunis. Retour sur investissement : 430%. Un labo à Port-Harcourt, deux proches à l'ambassades des Etats-Unis à Lagos, trois sociétés à Houston pour les invitations, un-deux-trois et le tour est joué. Tombent les feuilles d'automnes, traversant en zigzag, lentement, le halo des lampadaires trempés par le crachin. La poche intérieure lourde du cash, Paco pense encore que la poésie peut changer le monde, le sien au moins. Il ferme les yeux un instant et quand il les ré-ouvre c'est pour voir un kolkhoze abandonné, la porte rouillée, un chient errant qui pisse, et un petit montagnard nerveux qui le bouscule : ça y est, un homme de Friday est venu le chercher.

Plus:
http://www.dailymotion.com/video/xj6ivx_l-chateau-rouge-ce-soir-ou-jamais-france-3_music


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